OCEAN LOVER #4 : Frédéric Tardieu
Frédéric Tardieu, un marseillais engagé aux Philippines
Tombé amoureux des Philippines lors d’un voyage avec sa femme dans les années 1990, Frédéric Tardieu, marseillais d’origine, a posé ses bagages en 2011 sur l’île de Pangatalan. Ce français que rien ne prédestinait à s’investir pour l’environnement s’est engagé dans la restauration et la protection des écosystèmes de cette région.
Depuis son arrivée à Pangatalan, il a créé la fondation environnementale Sulubaaï, revégétalisé l’île, nettoyé les fonds marins, formé les populations locales à la préservation de leur environnement et participe aujourd'hui à la restauration des récifs coralliens.
Maintenant confiné sur son île devenue aire marine protégée, nous avons eu la chance et le plaisir de pouvoir échanger longuement avec Frédéric sur ses projets, son engagement et ce choix de vie incroyable.
As-tu un souvenir avec l’eau à nous raconter ?
Je n’ai pas eu une enfance proche de la mer mais plutôt campagne et cabane dans les arbres, mais un jour j’ai pu aller passer une journée au bord de l’étang de Berre, et ce fut une révélation! Piètre nageur mais un masque sur le visage ,j’ai été pris de passion par ce monde du silence qui m’était totalement inconnu ...
Quelle place tient l’océan dans ta vie ?
Aujourd’hui l’Océan est une passion, un combat. J’ai pratiqué la chasse sous-marine durant des années à Marseille à raison de plusieurs fois par semaine, été comme hiver. La mer m’a donné du vrai bonheur et des sensations incroyables. Le hasard de la vie: me voilà aujourd’hui, un combattant “féroce” pour sa protection.
Peux tu nous présenter ta fondation Sulubaaï ?
Sulubaai est une fondation aux Philippines, créée avec mon épouse en 2012, qui a pour objet la protection, la restauration et la conservation des ressources terrestres et marines de l'île de PALAWAN, et notamment la restauration corallienne.
Sulubaai Environmental Foundation France a été créée en 2018 et a été reconnue d’intérêt Public par le gouvernement.
En quoi consiste ton projet de greffe de coraux ?
En Asie, la pratique de la pêche à la dynamite et au cyanure a grandement détruit les sites coralliens. Nous avons décidé de nous lancer dans ce projet afin de reconstruire les habitats disparus car quand tout est détruit au fond de l’eau, plus rien ne peut vivre dessus. C’est ainsi que des espaces entiers se désertifient à jamais si l’on n’intervient pas.
Étant novices dans ce domaine, nous avons regardé ce qui se faisait ailleurs, mais nous n’étions pas vraiment convaincus du résultat sur le long terme. Nous avons donc créé le SRP, SULU REEF PROSTHESIS, car la comparaison m’est venue entre une dentition abîmée et un récif corallien détruit. Une dent en mauvaise état, on l’arrache, on implante un pivot et on fixe une ‘’jaquette’’. Pour les sites détruits, c’est la même technique: on enlève tous les coraux morts, on fixe le nouvel habitat SRP et on l’habille de boutures de corail (6 à 12, suivant la taille du SRP) fixées par simple pression, sans colle ni plastique. Le corail se soude sur son nouveau support en deux mois seulement, car il ne subit pas de stress de déplacement, d’exposition au soleil ou de multiples manipulations.
Cela nous a valu le titre de “méthode innovante” par l’Unesco en 2018.
Comment est né ce projet ?
Une rencontre inattendue avec un jeune biologiste marin en 2016, Thomas Pavy, il travaillait en tant qu’instructeur dans un club de plongée à El Nido le site touristique de Palawan.
Quand as tu eu le déclic de devoir agir pour la planète à ta propre échelle ?
Thomas est venu sur Pangatalan, notre île, car nous avions la volonté de nous occuper de la partie marine après avoir, durant 5 années replanté 60 000 arbres et plantes, ainsi que 10 000 mangroves car l'île avait été totalement détruite avant notre arrivée.
Nous avions rétabli les bases pour que la nature continue de faire son job, c’était seulement un petit coup de pouce. Thomas nous a alors suggéré de créer notre propre aire marine protégée.
À partir de cet instant ce fût une évidence, le territoire devenant immense, j’ai eu le sentiment que l’on me confiait un bout de la planète en gestion.
Une rencontre t’a t-elle marqué en particulier dans cette aventure ?
Oui, une rencontre a été très importante.
Fin 2017, je me rends au conservatoire du littoral à Aix en Provence, car j’avais entendu parler de la création en cours d’une ONG à l’international appelée SMILO (Small Island Organisation). J’avais besoin de me fédérer à un groupe et ne plus travailler seul dans mon coin. Je rencontre donc Fabrice Bernard, le directeur et lui expose notre parcours et notre travail mais sa réponse est cinglante: “Bravo et félicitations ! Mais vous êtes trop avancé et je ne vois pas ce que nous pourrions vous apporter”. Les bras m’en tombent, mais je ne me dégonfle pas et je lui réponds: “Vous n’imaginez pas tout ce que moi, je peux vous apporter…”
Depuis ce jour, notre île fait partie de SMILO, je siège au conseil d’administration, et Fabrice est un réel ami.
Peux tu nous parler de ta vie sur l’île de Pangatalan? Quelle est ta journée type?
Quand on réside sur une île, on vit avec le soleil.
5 heure du mat, c’est le chant des oiseaux qui me réveille, je traîne jusqu’à 6h puis nous faisons un tour de l'île pour prendre le relais des gardes qui la protègent.
7h petit déjeuner en famille, avec Chris mon épouse et bien souvent Mazzeo notre petit-fils de 6 ans qui vit sur Palawan.
8h débriefing avec les biologistes marins et nos 25 employés Philippins pour les missions décidées au jour le jour. Bien souvent, je pars nager ou plonger avec le chef de projet pour contrôler l’état des coraux et les futurs sites de restauration.
La matinée se termine par une balade en pirogue autour de l'île avec Mazzeo, puis le déjeuner et la petite « sieste Marseillaise ».
L’après-midi est dédiée au travail de bureau car la France se réveille: projets, publications, rapports scientifiques avec le CRIOBE, le CNRS, la POC et bien d’autres, préparation des missions scientifiques internationales comme Tara Expédition, Race for water, Gombessa, Energy Observer etc.
Dîner à 19h et coucher vers 20h30 - 21h.
Quels sont tes projets pour l’avenir ? As tu un rêve pour la planète ?
Mon doux rêve serait de revoir les océans à nouveau gorgés d’espèces disparues et en voie de disparition.
C’est ainsi qu’est né le projet « L’Académie de la Mer », un ensemble d’aires marines protégées, qui devrait voir le jour en Octobre 2020 grâce au soutien des fondations Prince Albert 2, Veolia et Le Fond Français pour l’Environnement Mondial.
Il s’agit de petits espaces marins de 50 ha minimum, gardés jour et nuit, dans lesquels on restaure les habitats et les coraux. On y relâche des juvéniles de poissons, issus de post-larves de la baie élevées durant 3 mois, pour rebooster la diversité et retrouver l’équilibre de la biomasse.
Nous testons ce projet depuis 2 ans. Ce n’est pas simplement un rêve, mais une réalité qui fonctionne ! Un projet durable qui se bâtit avec les enfants des villages, ainsi qu’avec les adultes par la création d’emplois, et les étudiants des universités en biologie marine des Philippines.
As-tu un petit geste facile pour la planète à recommander à nos lecteurs ?
Oh oui, il y en a tellement des gestes simples ! Mais le geste doit toujours faire réagir l’entourage pour faire bouger les consciences. Pour moi, un des plus importants concerne celui des déchets provenants d’emballages plastiques. Il faut les boycotter à tout prix car c’est un envahissement mondial, donc si possible les laisser sur place, ce n’est pas facile mais ce geste fera un jour réagir les producteurs sur l’ampleur du problème.
Deux questions un peu plus personnelles:
De quoi es-tu fier en te couchant le soir?
Ce dont je suis le plus fier en mon fond intérieur, c’est de prouver que chacun à son niveau peut être acteur du changement s'il le veut.
Et si c’était à refaire, que ferais tu différemment ?
Si c’était à refaire, je me battrais contre le temps et j’essaierais de m’engager beaucoup plus tôt dans ce combat.